Il peut paraître paradoxal de proclamer
Bernard Buffet peintre mal aimé alors que ses œuvres sont régulièrement vendues aux enchères plusieurs dizaines de milliers d’euros, voir plus lorsque qu’il s’agit de peintures de la série des Clowns, les plus prisées des amateurs. Le peintre fut certes largement médiatisé il y a un demi-siècle, faisant l’objet de reportages dans Paris-Match ou à la télévision française. Pourtant, si l’on songe que le seul musée consacré à son œuvre se situe au Japon, on ne peut s’empêcher que ce grand peintre expressionniste français est incompris en son propre pays !
Un peintre dérangeant car hors des grands courants de son époque
Une œuvre figurative en une période d’abstraction
L’art de Bernard Buffet a évolué au fil des années, mais l’artiste est resté fidèle à la figuration durant les cinq décennies durant lesquelles il fut actif. Il a toujours gardé ce souci de représentation depuis les intérieurs vides de ses débuts précoces jusqu’aux macabres figurations de la Mort qui constituèrent son ultime chef d’œuvre, en passant par les vues de monuments ou les légendaires
clowns. Les galeries, et en particulier la galerie
Maurice Garnier qui le soutint toujours, l’ont certes régulièrement présenté, mais cette fidélité à la figuration l’a maintenu à l’écart des courants dominants du monde artistique de l’époque.
L’heure était en effet à l’
expressionnisme abstrait des japonais du groupe Gutaï ou encore du français Georges Mathieu, ou bien à la radicalité géométrique des américains de l’hard edge abstraction. Les seuls artistes encore figuratifs de son temps étaient ceux du Pop Art, tels les américains Andy Warhol ou Roy Lichtenstein ou le français Martial Raysse, mais cette figuration tenait plus de la dérision ironique que la représentation assumée. Il n’y avait pas de place alors pour une vraie figuration puissante, comme celle d’un Bernard Buffet.
Une constance dans le style au lieu de la recherche de la nouveauté
Le culte de la nouveauté a fait des ravages dans le monde de l’art, et Bernard Buffet le mal aimé en a certainement été la victime collatérale : là où un Pablo Picasso changeait de style tous les cinq ou dix ans, là où le marché de l’art sacrait régulièrement de nouvelles vedettes aussi vite oubliées qu’elles avaient été encensées, il s’est acharné à tracer son sillon au fil des expositions.
Bernard Buffet a peint au fil des années le portrait d’Annabel ou celui de la mort qui venait, il a croqué avec autant de bonheur les natures mortes que les châteaux de la Loire, mais il ne s’est jamais départi de son style si caractéristique, architecturé par de puissantes verticales noires. Il n’a jamais cherché à être à la mode, à plaire à tout prix, à se soumettre à l’air du temps. Il a simplement fait œuvre, souverainement indifférent aux diktats du monde de l’Art... qui le lui a sans doute fait payer !
Vers une réhabilitation d’un peintre dérangeant ?
Le retour de la figuration... et de Bernard Buffet
Il était de bon ton à la fin du XXe siècle de prédire la mort de la peinture et de disserter sur les nouveaux médias et les nouvelles formes de l’art contemporain. La documenta X en 1997 à Kassel, dixième édition de la quinquennale de référence dans le monde de l’art contemporain sous la houlette de la française Catherine David, n’exposait ainsi qu’un seul peintre parmi sa large sélection d’artistes : l’art le plus ancien, remontant aux peintures pariétales des hommes préhistoriques, était supposé fini par les zélotes de la contemporanéité à tout prix !
Le Musée National d’Art Moderne a spectaculairement remis les pendules à l’heure dès 2002 dans une exposition restée mémorable. Cette présentation, intitulée Cher Peintre, remettait en effet au goût du jour la peinture et la figuration sous le patronage de deux figures tutélaires, Francis Picabia et... Bernard Buffet : l’artiste maudit, dont l’importance et la biographie avaient trop longtemps été éclipsés, revenait en grâce en étant accroché aux cimaises de l’un des musées de référence en la matière. Ainsi passa-t-on du Bernard Buffet peintre mal aimé à un Buffet précurseur des plus pointus des artistes contemporains, comme par exemple le britannique Glenn Brown et la française Carole Benzaken !
Un artiste encore sous-côté
La peinture de Bernard Buffet reste malgré tout encore très abordable au regard de l’importance indubitable de l’artiste dans l'histoire de l’art du XXe siècle. Ainsi récemment lors d’une vente aux enchères à Artcurial, un tableau de Pierre Soulages atteignait 1 869 000 euros là où une peinture historique de Bernard Buffet ne dépassait pas 54 000 euros. Les deux toiles étaient à peu près de la même taille, les deux artistes sont pourtant de la même génération, et un rapport de trente à un entre une œuvre du centenaire de Rodez et une toile de Bernard Buffet est pour le moins surprenant ! Il est encore plus facile de s’offrir une lithographie de Bernard Buffet, par définition plus accessible qu’une peinture originale.
L’artiste maudit que fut Bernard Buffet n’a sans doute pas été encore complètement réévalué par le marché et les collectionneurs qui apprécient la peinture toujours actuelle de ce peintre éternellement moderne et étonnamment maudit peuvent trouver de belles œuvres à des cotes encore envisageables.